Devinette n°6
Il est des mots dans la langue française qui ont 1000 sens. Raison pour laquelle le verbe de Molière est si riche, et le mot que nous cherchons aujourd’hui aussi caméléon. Une aubaine pour les auteurs de devinette, et plusieurs belles occasions pour vous de deviner notre inconnu du jour. Celui-là est un mot court. Un mot qui n’est ni beau, ni laid, ni poète, ni charretier, mais qui cache derrière ses quelques lettres de belles histoires. Des histoires de montagnes, d’eau, de faune et de flore. Des histoires de rire et de chant, d’apparence et d’ouverture. Dans sa version la plus courante, le mot que l’on cherche parle. Il parle lorsque les muscles s’agitent et lui donnent la possibilité d’agir. Il parle lorsque les hommes ont des choses à dire. Ou envie de dire des choses. C’est le cerveau qui le commande. Le ou plutôt la, puisque c’est d’ « elle » et non de « lui » qu’il s’agit lorsque l’on parle du mot d’aujourd’hui. Ainsi, elle parle. Ou plutôt, c’est par elle que passent les phrases, les interrogations, les exclamations, les sanglots. C’est par elle que passent les maux aussi, ceux que le vent, la pluie, le ciel gris et les baisses de mercure provoquent chez les plus sensibles. C’est qu’elle s’ouvre parfois trop, celle que l’on cherche. Ou plutôt non, elle est faite pour s’ouvrir. Dans l’une des nombreuses définitions que les dictionnaires peuvent lui attribuer, c’est d’ailleurs là même son sens premier. Elle est une entrée, une ouverture de quelque chose. D’une partie du corps, d’un souterrain, d’une grotte… Si l’on prend quelque peu de recul, sans elle on ne peut entrer nulle part. Ni sortir d’ailleurs.
Dans un certain coin de la France, accompagnée d’un mot commençant par une couleur écolo et nommant une rivière, elle est un lieu de vacances. Soleil, montagne, eau claire, les aoutiens s’y agglutinent pour honorer le farniente, la détente et les randonnées. L’ouverture qui sépare deux montagnes, c’est aussi elle. Celle qui laisse les sopranos faire leur métier, c’est elle. Mais si elle est présente chez nos confrères humains, elle l’est aussi sur nos amis les animaux. Veaux, vaches, cochons, mais aussi et surtout ceux qui côtoient le ciel, les branches, tout là-haut. Ceux qui grâce à leurs plumes ont permis à la crème des écrivains d’hier d’écrire leurs chefs-d’œuvre comme leurs mauvais manuscrits. Ceux sans qui les oreillers d’antan n’auraient pas été si confortables ni irritants. Vous l’avez compris, nous parlons des oiseaux. De jour ou de nuit, ils font voler celle que l’on cherche avec eux. Elle touche alors les nuages, supporte les cris de la basse-cour ou pire encore, les fait résonner encore plus fort. Chez l’un de ces vertébrés tétrapodes ailés (tel est leur nom scientifiquement poussé), elle a plus d’importance que chez les autres. Parce qu’elle est plus grande ? Non. Parce qu’elle a des super-pouvoirs ? Non. Parce qu’elle leur donne une apparence toute particulière ? Oui. Grâce à elle, ceux-là sont devenus célèbres. Sans elle ils ne seraient pas si mignons, si reconnaissables. Sans elle, ils s’appelleraient autrement, certainement. Mais nous y reviendrons plus tard. Il serait beaucoup trop facile pour vous de découvrir ce pourquoi l’oiseau chantant est devenu une star.
Revenons-en à notre ouverture, à notre lieu de vacances. A cette partie du corps qui est sa version la plus commune, la plus connue. Celle qui aide les ténors, les barytons, les sopranos, les révoltés, les insoumis à chanter, crier, s’exprimer. Celle qui les aide à se faire entendre, à rire ou à pleurer. Celle qui les aide à déployer leurs arguments, faire passer les notes, tirer sur les cordes, animer les théâtres, les opéras, les tribunes, les salles de concert. C’est qu’elle est plus utile ouverte que fermée, celle que l’on cherche. Si elle côtoie le cou des hommes comme des femmes à égalité, elle existe deux fois chez les deuxièmes. La première dans le cylindre qui tient leur tête, la deuxième, là où la pudeur blesse et le fantasme se déploie. Là où celle que l’on cherche est nourricière et charnelle. Censurée parfois. Souvent. Il ne fait pas bon montrer ceux que l’on soutient quotidiennement. Mais n’allons pas titiller les sensibles, la pureté. Revenons à notre première version, l’ouverture qui vibre lorsque l’on veut chanter, pleurer ou crier.
Dans sa version la plus dark, la plus obscure, elle est une partie du corps où la mort s’invite. Parce qu’elle est sensible, facile à atteindre, facile à attacher, facile à trancher. Ici la jugulaire est incontestablement celle que l’on vise pour réussir. Réussir à faire couler le sang, couper le souffle, ôter la vie. Dans ce cas précis notre inconnue est même entrée dans la légende. Elle a donné son nom à certaines rues dans lesquelles il ne fait pas bon se promener. Des rues étroites, sombres, vides, dans lesquelles on imagine qu’il serait facile de nous attaquer, de nous faire mal, en toute discrétion. Celles que les écrivains aiment à décrire dans leurs thrillers et leurs polars, celles qui permettent aux cinéastes de faire monter le suspense, assombrir l’écran, faire peur aux spectateurs. Qu’elles nous effraient, ces rues, lorsqu’on doit les emprunter. Qu’on les aime aussi, quand il s’agit de les lire dans des romans ou de les regarder s’animer sur grand écran.
Dans ce même registre peu réjouissant, sachez qu’il y a une deuxième façon célèbre d’atteindre l’homme via celle que l’on cherche. Si elle est moins explosive, moins salissante, elle n’est pas moins spectaculaire. Contrairement à l’attaque à l’arme blanche, celle-là se fait généralement en public. Les os craquent, la vie s’en va, en moins de temps qu’il n’en faut pour inspirer, expirer, inspirer, expirer. Mais changeons de sujet, revenons à des histoires plus gaies. A des histoires douces, qui font rire les hommes en déployant notre inconnue du jour.
Celle que les hommes baladent avec eux a une particularité qui la distingue de celle des femmes. Un fruit défendu s’y installe lorsque la puberté les fait grandir. Un fruit que la Normandie aime en bouteille, les gourmands en tarte, les autres tel qu’il est lorsqu’il tombe de l’arbre. Dans la Bible, le fruit qui se cache dans celle que l’on cherche est symbole de péché. Le péché du désir charnel et de l’acte qui suit. C’est pourtant grâce à ce fruit que l’humanité, selon les écrits religieux, existe. Grâce à lui que les hommes sont nés, grâce à lui que vous êtes là, en train de lire ce texte pour deviner de quoi l’on parle, pour vous détendre, vous reposer, vous endormir. Quoi de mieux pour se détendre que la musique ? Si la musique n’a pas besoin de la voix de l’homme pour adoucir les mœurs, ce sont aujourd’hui les morceaux chantés qui passent à la radio et sont fredonnés dans la rue et les karaokés. Eh bien sachez que sans notre inconnue du jour, ces chansons n’existeraient pas. En son sein, les cordes vocales vibrent, laissent s’échapper les sons, les notes, les partitions. Parce que celle que l’on cherche est sensible, certains artistes la comblent de miel, de thym, d’infusions en tout genre. D’autres boivent du sirop, avalent des pastilles, l’important c’est que de l’objet de notre devinette sorte de l’or. Ils n’ont pas de chance, les oiseaux dont nous parlions tout à l’heure. Personne ne vient leur donner le fruit des abeilles lorsqu’ils n’arrivent plus à chanter. Heureusement pour eux, ce n’est pas pour leur musicalité que les hommes ainsi les appellent. C’est simplement parce que sur notre inconnue et sur eux, le rouge déploie ses ailes.