Vous allez (forcément) vous endormir

Vous allez (forcément) vous endormir

L'écrivain

Il ne peut pas faire autrement. C'est ancré en lui, c'est son mode de vie depuis de nombreuses années. À la demande de ses proches et de ses éditeurs successifs, il a essayé de changer, de trouver l'inspiration autrement. Mais sans grande surprise, ça n'a pas fonctionné. Vincent a besoin de la nuit pour observer, développer ses idées et les coucher sur le papier. Aussi longtemps qu'il s'en souvienne, ça a toujours été ainsi. Pendant ses études supérieures et son master en littérature, il suivait ses cours et lisait de nombreux ouvrages dans la journée. Des classiques aux polars en passant par les romans de science-fiction, il intercalait ses auteurs préférés entre deux lectures obligatoires. Un étudiant réservé mais studieux et surtout très apprécié de ses professeurs. Ces derniers ne se doutaient pas que Vincent dormait peu et qu'il lui fallait attendre la nuit tombée pour pouvoir réellement se lancer dans l'écriture de ses différents projets. Déjà à cette époque, il ne se contentait pas d'attendre que les mots lui viennent. Il n'hésitait pas à sortir de chez lui pour vagabonder sur les quais, dialoguer avec les badauds qu'il croisait et s'asseoir plusieurs heures pour observer son environnement et partir dans de longues rédactions. Au début, ses virées nocturnes le fatiguaient et le rendaient inactif une fois le jour levé. Et puis au fil des mois, il s'est fait à ce rythme, à cette double vie qui lui permettait d'être réellement épanoui.

 

Douze ans plus tard, sa passion initiale est devenue son métier même s'il n'aime pas en parler ainsi. Vincent est un écrivain reconnu, qui n'a jamais changé ses habitudes d'écriture. Lorsqu'on l'a prévenu que ça pouvait être dangereux et qu'il n'endurerait pas éternellement cette fatigue, il s'est mis en tête d'avoir des horaires de bureau et de rédiger ses nouvelles et ses histoires avant le coucher du soleil. Il s'est, comme de nombreux écrivains avant lui, décidé à s'isoler dans une maison de campagne pour trouver une certaine tranquillité. Un cliché transformé en véritable fiasco et un syndrome de la page blanche qui aura duré six mois. Il n'y a rien à faire, il voit les choses différemment la nuit et a besoin de sortir pour nourrir son imagination. Ne serait-ce que pour quelques minutes, il arpente les rues de Paris, à la recherche d'un fait, d'une rencontre, d'un tableau de vie nocturne qui lui permettent d'écrire une nouvelle histoire ou de poursuivre celle en cours. Il ne se contente jamais du même quartier, des mêmes rues, des mêmes visages. En sortant de son appartement trop grand pour lui à quelques mètres de l'Opéra Bastille, il est capable de marcher plusieurs heures, sans réel but mais simplement pour humer cet environnement si inspirant. Parfois, pour admirer les jeux de lumière, comparer la vie dans plusieurs arrondissements et emprunter le plus grand nombre de ponts, il s'autorise à monter dans un taxi en indiquant simplement au chauffeur de rouler, sans itinéraire précis. Il prend des photos dans sa tête et retient tous les petits détails qui lui serviront pour son ou ses récits. Car Vincent aime écrire plusieurs histoires en même temps, créer des interactions entre ses différents ouvrages et donner des caractéristiques communes à ses personnages.

 

Lorsqu'il n'a plus les idées claires et que ses pensées se bousculent, il note tout ce qu'il voit sur de simples feuilles de papier. Il a pourtant des dizaines de carnets mais il ne les utilise pas. Il accumule les morceaux et les rassemblent une fois rentré pour se lancer dans l'écriture de ses récits. Des histoires qu'il a toujours réussi à vendre même si elles n'ont pas toujours eu le succès qu'elles méritaient. Au départ, il s'est contenté de publier des nouvelles. Il a récupéré ses nombreuses publications du journal de l'université pour en faire un ouvrage complet, imprimé à quelques centaines d'exemplaires par une maison d'édition régionale. Si cette première étape n'a pas vraiment rimé avec notoriété, elle a au moins eu le mérite de lui mettre le pied à l'étrier et de l'encourager à poursuivre dans cette voie. Après avoir publié plusieurs recueils, il s'est lancé dans son premier polar. Un ouvrage mêlant faits réels et fiction qui lui ont valu quelques très bonnes critiques, notamment dans les revues destinées aux amateurs de romans policiers. Mais hors de question pour lui d'être placé dans une case en particulier. Il a enchaîné avec une collaboration sur l'histoire de la Commune de Paris avant de créer une trilogie fantastique adressée principalement aux adolescents. S'il garde toujours la même méthode de travail, il change constamment de registre, ce qui l'oblige à multiplier les contrats avec différents éditeurs. Il veut tout tester et ne se fixe jamais aucune limite. Une ouverture d'esprit qui lui avait valu quelques échecs. Persuadé de pouvoir se lancer dans plusieurs projets en même temps, il s’est parfois perdu et a été contraint d'abandonner certaines idées pour pouvoir rendre ses travaux les plus importants à temps. Une frustration vite effacée par l'effet grisant d'une nouvelle sortie en librairie.

 

Mais comme de nombreux écrivains, Vincent ne parvient plus à se contenter de ce qu'il fait. Au fur et à mesure de ses projets, il se rend compte qu'il ne veut plus simplement raconter des histoires. Il veut les vivre et les conter en intégralité à ses lecteurs. Les plus fidèles savent à quel point il est précis et capable de détailler une scène sur plusieurs pages qu'il rend passionnantes par l'exactitude de ses descriptions. Ce n'est pas le côté autobiographique qui l'attire mais bien l'idée de partager une expérience voire d'informer sur certaines situations peu connues du grand public. S'il adore les faits divers et s'en sert régulièrement pour construire ses intrigues, l'idée de se muer en une sorte de journaliste afin d'être davantage au cœur de l'action et de ne pas se contenter d'apprendre les histoires en lisant les journaux lui est venue naturellement. Il veut vivre de véritables immersions et partager ses enquêtes sans être obligé de tout romancer. Mais quitter la fiction pour ne prendre en compte que la réalité n'est pas chose aisée même s'il débordait d'idées. Il en a une en particulier, qui trotte dans sa tête depuis plusieurs années. Et c'est une nouvelle fois ses sorties nocturnes qui l’ont inspiré. Il s'est mis dans l'idée de raconter des vies et de dresser les portraits de personnes qu'il croise régulièrement. Dans un premier temps, il ne savait pas vraiment sur qui se fixer mais était particulièrement attiré par les plus démunis, dont le passé est souvent plus compliqué qu'il n'y paraît. S'il ne savait pas vraiment où il mettait les pieds, Vincent a été confirmé dans son idée lors d'une exposition consacrée aux sans-abri. Ces visages abîmés par le temps et par la vie l'ont fasciné et il s'est naturellement mis en quête de retrouver les hommes et femmes qui ont posé pour le photographe et créateur de l'exposition.

 

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