Prénoms (partie 3)
- Mais, je ne comprends pas, si un garde du corps suit toujours la princesse, comment est-ce que Damien a pu réussir à entrer dans le labyrinthe ?
- Euh… Ben… Je…
Qu’il était rare, de voir Thibault perdre ses moyens. Damien en profita pour enfoncer le clou.
- Ben oui, elle est pas logique ton histoire !
- On peut la rendre logique, il faut juste inventer quelque chose.
- On pourrait dire que Damien a réussi à l’assommer !
- Tu crois vraiment que la Reine aurait pu embaucher un garde du corps plus faible qu’un enfant ? Ca ne tient vraiment pas debout.
- Oui, c’est vrai…
Première tentative ratée pour le benjamin de la fratrie.
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Damien avait vraiment envie de trouver ce qui était arrivé au protecteur de la princesse. Depuis le début du jeu, son grand frère contrôlait tout. Le prénom des personnages, l’époque à laquelle devait se dérouler l’histoire, qui, que, quoi, dont, où. Il trouvait ça injuste, et ce qui devait être une source d’amusement au début devenait pénible pour lui. Il avait autant d’imagination que Thibault après tout !
- Sinon, on peut juste dire qu’il avait très envie de faire pipi et qu’il a du s’absenter pour éviter un drame, tenta Thibault, qui tenait à reprendre le contrôle de la situation.
- On parle de rois, de reines, de princesses, d’animaux géants et de labyrinthes, et on se retrouve avec un garde du corps incapable de contrôler sa vessie…
- Trouve une solution puisque tu es si malin Damien !
- Ah ça, quand tu ne sais plus quoi dire, j’ai le droit d’avoir des idées, évidemment…
Evidemment. Thibault n’était pas un mauvais bougre, mais il avait toujours eu cette fâcheuse volonté d’être le premier en tout. Le premier de sa classe, le premier à se servir à table, le premier à ouvrir ses cadeaux à Noël… Il voulait tout contrôler. A bien y réfléchir, il avait quelques traits de caractère similaires à ceux de Damien, le méchant de l’histoire qu’il avait lui-même inventé. Hasard ou farce de l’inconscient…
Poussé par son grand frère, Damien se lança dans un pari un peu risqué.
- J’ai bien une idée mais je ne suis pas sûr qu’elle te plaise. Tu es beaucoup trop terre à terre, tu n’as sûrement pas assez d’imagination pour accepter un tel scénario…
Il était malin, Damien. Il savait très bien qu’en mettant son grand frère face à ses défauts, il augmentait ses chances d’obtenir son approbation. Question de défi.
- Ah oui ? Moi j’ai pas assez d’imagination ?! Eh bien vas-y, je t’écoute, tu vas voir si je suis si terre à terre.
C’était gagné d’avance.
- Tu vois les animaux qu’il y a dans le labyrinthe ?
- Ouiiii… répondit-il, perplexe.
- Je me disais qu’on pouvait peut-être les faire parler…
- Les faire parler ? Des buissons en forme d’animaux ? Vraiment ?
- Tu vois, je t’avais dit que tu n’avais pas assez d’imagination.
- Ok ok, continue.
- Très bien, mais ne me coupe pas cette fois-ci. Donc, nos animaux. Qu’est-ce que tu dirais si on leur donnait vie ? On pourrait leur avoir jeté un sort, quelque chose comme ça, tu vois. Un peu de magie n’a jamais fait de mal à personne, surtout pas dans un conte. On pourrait dire que l’un des animaux, un lion par exemple, a pris vie au moment où il a vu Damien et ses copains arriver, qu’il a voulu protéger Marianne, Capucine et Justin, et qu’il a malgré lui fait peur au garde du corps ? Non ?
Thibault trouvait l’idée complètement folle. Aberrante même. Une plante en forme de lion qui se met à bouger et à parler, n’importe quoi. Mais, vexé par la remarque de son petit frère, désireux d’être, lui aussi, un enfant ouvert et plein d’imagination, il capitula.
- Oui, pourquoi pas…
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- Comment tu as trouvé cette carte, Damien ? Tu te rends compte que tu vas avoir de gros problèmes ? Et où est Igor ? Il est censé protéger l’entrée du labyrinthe.
- Eh bien eh bien eh bien, ça fait beaucoup de questions, ça, ma petite Marianne.
- Je ne suis pas ta petite Marianne.
- Ah bon ? Tu as pourtant l’air un peu moins sûre de toi tout d’un coup.
Marianne bouillonnait. Justin bouillonnait. Capucine bouillonnait ET tremblait. Elle sentait que la situation pouvait dégénérer à tout moment, si ce n’était déjà fait. Contrairement à ses deux camarades, elle essayait de se raisonner, de comprendre comment tout ça avait pu arriver. Igor, la carte… Pour elle, c’était un cauchemar. Pour Marianne et Justin, c’était aussi énervant qu’excitant.
Justin commençait à perdre patience. Tout leur petit monde s’écroulait lentement mais sûrement. Ce labyrinthe était leur QG depuis des années, tout avait été fait pour que personne à part eux et la reine ne puisse y accéder. Si leur bande rivale avait maintenant le plan, où allaient-ils se réfugier pour refaire le monde ? Comment allaient-ils se débrouiller pour échapper aux problèmes de la cour, à l’immaturité de Damien, au quotidien qu’ils essayaient à tout prix de fuir. Crise d’adolescence et précocité oblige. A partir de ce jour, leur petite vie ne serait plus jamais la même.
De son côté, si Marianne connaissait la guerre, la vraie, menée par son père contre les pays voisins pour des questions d’adultes qu’elle ne comprenait pas tout à fait, elle voyait les jours à venir comme les prémices d’une bataille miniature. Elle devenait le chef d’une petite armée, prête à récupérer le lopin de terre qu’on lui avait sauvagement volé.
Pendant ce temps-là, Igor tentait tant bien que mal de reprendre ses esprits. Etait-il devenu fou ? Alors qu’il guettait l’entrée du labyrinthe pour protéger la fille chérie du roi et de la reine, il avait cru voir quelque chose qui n’existait que dans les livres et les histoires pour enfants. Il se remémora la scène pour élucider le mystère. Il se souvint alors avoir vu Damien et ses deux compères l’observer au loin. Il connaissait bien ces trois-là, et savait pertinemment ce qu’ils étaient en train de manigancer. Ils avaient déjà tenté une fois d’entrer dans le labyrinthe en détournant son attention. Parce qu’il n’était pas qu’un molosse mais aussi un cerveau bien rempli, il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour comprendre le stratagème des trois ados et réduire à néant toutes leurs chances de réussite. Mais aujourd’hui, il s’était fait avoir. Pas par Damien et ses disciples, non, ceux-là n’arriveraient jamais à avoir le vaillant Igor. S’ils les avaient laissés passer ce jour-là, c’est parce qu’il avait eu la peur de sa vie. Alors que les trois adolescents tentaient par tous les moyens de le déconcentrer, le garde du corps avait cru voir bouger le lion vert à côté duquel il guettait l’entrée. Pire, il avait cru l’entendre rugir. Effrayé, il était parti en criant comme un enfant. Il avait couru sans réfléchir et avait atterri au milieu de la forêt. Adossé contre un arbre, il inspirait, expirait, inspirait, expirait pour ralentir son rythme cardiaque et reprendre ses esprits. C’est ainsi qu’il oublia son hallucination (qui n’en était pas une) et se mit à penser à sa petite Marianne. Il se rassura en se disant que Damien, faible de son peu de bon sens, avait certainement dû se perdre dans le labyrinthe. Il ne croyait pas si mal dire…