VOIX DE LA SNCF
C’est le jour du grand départ en vacances, toute la petite famille est prête, les valises aussi, et c’est peu dire que vous êtes chargé. Au moins trois énormes sacs, sans compter les deux petites valises sur roulettes, et les paniers. En plus de tout cela, il ne faudra pas perdre de vue les enfants. Mais heureusement, de Paris, vous serez en Bretagne dans la maison de Papy et Mamie en moins de trois heures, ce trajet ne devrait donc pas être trop éprouvant. Le taxi est commandé, il est à l’heure, vous arrivez à la gare. Et là, mauvaise surprise : le tableau d’affichage annonce un retard de vingt minutes. Rien de grave pensez-vous. Sauf que quelques minutes après, ce retard est de 45 minutes, puis très vite, de plus de 90 minutes. Les enfants pleurent, crient, ont faim et envie de faire pipi, et pas forcément dans cet ordre. Le départ en vacances vire au cauchemar, et vous êtes encore à la gare. Mais il y a une personne que cela ne semble pas inquiéter : c’est cette femme. Cette voix qui vous recommande de faire attention aux pickpockets. Cette même voix qui vous demande d’étiqueter vos bagages. Cette voix enfin qui vous annonce que le train partira du quai numéro 13. Vous ne connaissez pas son visage, mais cette voix, vous la reconnaîtriez entre mille.
C’est la voix de la SNCF.
Simone Hérault est née à Enghien-les-Bains (Val-d'Oise) il y a 67 ans. Elle a un beau visage, les cheveux gris, un sourire accueillant. Elle est depuis plus de trente ans la seule et unique voix de la SNCF. Sa voix est diffusée sur les quais des plus grandes et importantes gares de France, sur les supports multimédias de la SNCF (serveurs vocaux, manifestations, etc.) et à bord de certains trains pour les dessertes et arrêts. Elle fait aussi des annonces de mariage ou de petits messages personnels à l’attention des cheminots qui partent en retraite (“un geste que je trouve normal, car on fait tous partie de la même famille”). Pour la petite anecdote, elle est également la femme du comédien Guy Laporte, connu pour avoir joué le rôle du chef de village dans Les Bronzés (mais vu aussi dans Subway de Luc Besson et Grosse Fatigue de Michel Blanc). Depuis quelques années, elle est impliquée dans la compagnie « Lire autrement », qui organise de nombreuses lectures publiques d'œuvres littéraires de tous styles. Simone Hérault est également la maman de deux garçons, et la voix de l'aéroport de Bruxelles et de celui du Caire. Elle en rigole elle-même : “Il ne vous reste guère que le bateau pour échapper à ma voix mais je n'ai pas dit mon dernier mot !”.
Mais alors, comment devient-on la voix la plus écoutée (1,1 milliards de passagers chaque année sur les lignes de la SNCF, tout de même) mais également, avouons-le, la plus détestée de France ? Dès 1972, Simone est animatrice radio chez France Inter Paris, où elle travaillera jusqu’en 2001. En 1981, pour marquer l'arrivée du TGV, la société part à la conquête de nouvelles voix pour enregistrer ses annonces. Après un casting, sa voix, ainsi que celle d’une autre animatrice, est retenue. Simone enregistrera au total plus de 4000 heures de sons pour la compagnie. Comment ? “Notre travail consistait à enregistrer des annonces dans leur globalité – plusieurs phrases d’affilée – et cela deux fois par an pour les horaires d’hiver et d’été. Quatre mois de travail intensif à enchaîner les annonces pour des gares dont je ne connaissais même pas l’existence”, raconte-t-elle au site de L’Obs. “C’était le temps des vieilles cassettes audio, des pistes uniques et des enregistrements sur bande. Et puis, au début des années 1990, l’ordinateur a fait son apparition. La SNCF a alors décidé de ne retenir qu’une seule voix : la mienne. Puisque le vocabulaire spécifique de chaque gare devait être "raccord" avec le vocabulaire commun. Et il ne fallait plus qu’une seule voix de référence. Depuis ce bousculement technique, je n’enregistre plus d’annonces complètes. Je récite des groupes de mots, des destinations, des horaires, des numéros de train, etc. avec des intonations différentes qui sont par la suite mis bout à bout au montage (ce qu’on appelle la concaténation)”.
Elle raconte qu’elle prend les usagers par la main, et qu’elle aime ça. Mais elle se souvient également de ce moment où sa voix est arrivée dans les TER. Pas simple, car “j'ai dû enregistrer le nom de toutes les gares de France”, raconte-t-elle au Parisien. “Les gens n'apprécient pas que l'on prononce mal le nom de leur commune. J'ai passé des heures chez moi à appeler les gares pour savoir comment se disait telle ou telle ville. Le problème, c'est que la prononciation peut varier d'un canton à l'autre !”. Et n’allez surtout pas croire qu’il s’agit là d’un métier tranquille, qu’il ne s’agit que d’enregistrer une voix de temps en temps, un petit message. Il y a toujours de nouvelles choses à enregistrer. Simone est rémunérée au cachet, est appelée à travailler pour la SNCF au moins trois fois par mois, et touche des droits d’auteur chaque année, pour la diffusion de ses annonces dans les gares, mais aussi au cinéma ou à la télévision. Et ce n’est peut-être pas près de s’arrêter, comme nous l’explique le site officiel de la société nationale des chemins de fer français : “dans 100 ans, la voix de SNCF sera peut-être encore celle de Simone. Dans une démarche d’amélioration continue de son système d’annonce, SNCF travaille actuellement sur une voix de synthèse. Véritable jumelle numérique de Simone, E-Mone possédera son timbre et son intonation. Grâce au « Text to speech » ou « graphème vers phonème » pour les francophones, les chefs de gares du futur pourront transformer le texte en paroles depuis leur écran. Simone n’a pas dit son dernier mot”.
Alors, arrêtez, malgré les enfants qui pleurent, ce hall de gare froid et moche, ces agents qui ne vous sont d’aucune aide, oui, arrêtez de vous plaindre ! Car cela pourrait être pire. Vous pourriez être voix de la SNCF, apprendre par coeur le nom de petits villages où vous n’irez jamais, être secrètement détesté des usagers en colère, ne même pas profiter de votre gloire car personne ne connaît votre visage, et surtout, être remplacé par un robot du nom de E-Mone après plus de trois décennies de bons et loyaux services.