VOUS POURRIEZ-ÊTRE MONITEUR D'AUTO-ÉCOLE
Pas cool. Vraiment, ce monsieur n’était pas cool. Bien évidemment, cet accident, de si bon matin, si bête, était totalement de votre faute, mais il n’empêche, la grogne et la mauvaise foi du conducteur d’en face, au moment toujours douloureux d’établir le constat, n’était guère appréciable. Il était, après tout, dans votre angle mort, et si vous avez tourné trop tôt, et oublié le clignotant, et bien, force est d’admettre que cela peut arriver à tout le monde. Et puis bon, sa voiture n’est pas abîmée. La vôtre, en revanche, doit passer faire un tour chez le garagiste, et le plus vite possible. Bref, cette journée commence mal, très mal même.
Mais réjouissez-vous, car cela pourrait être pire. Bien pire même. Comment ? Et bien vous pourriez être moniteur dans une auto-école.
On vous laisse visualiser la scène : chaque heure de chaque semaine de chaque mois de chaque année, des dizaines et des dizaines d’apprentis conducteurs et conductrices passent devant vous. Vous avez beau être quelqu’un de plutôt sympathique, désolé, mais ils ont peur de vous. Très peur. Parce que c’est vous, et uniquement vous, qui déterminerez s’il ou elle est apte à prendre la route. La charge est lourde, et la tension est donc palpable dans cette voiture. Certes, comme le rappelle le blog Permis B, il s’agit d’un métier passion : “la plupart des moniteurs que j'ai rencontré sont tout d'abord animés par une passion débordante pour l'enseignement de la conduite. Plus que le salaire, c'est leur passion de la conduite qu’ils souhaitent communiquer”. Mais n’en oublions pas pour autant cette tension au quotidien. Ce malaise qui peut très rapidement s’installer. Et la tristesse de celles et ceux qui n’obtiendront pas le précieux sésame. Bref, d’entrée de jeu, vous faites peur.
Plus effrayant encore que l’importance que vous allez avoir dans la vie de ces jeunes et moins jeunes gens : la liste des conditions à remplir pour exercer. La voici, dans toute sa splendeur : avoir 20 ans révolu, avoir obtenu son permis B depuis au moins 2 ans, ne pas avoir de permis probatoire, être titulaire du B.E.P.E.C.A.S.E.R (Brevet pour l'Exercice de la Profession d'Enseignant de la Conduite Automobile et de la Sécurité Routière) ou équivalent, avoir un casier judiciaire en adéquation (pas de délit d'atteinte aux personnes humaines, aux biens, pas de fraudes aux examens et concours publics, pas de délits au code du travail, code de la route et code de la santé), avoir été reconnu apte à l'exercice de la profession, obtenir l'agrément d'enseigner à la préfecture (valide 5 ans)... Les règles sont nombreuses, certaines évidentes, d’autres moins, mais surtout, la réglementation peut changer du jour au lendemain, et donc ajouter de nouveaux obstacles. Mais ce n’est pas tout…
Parlons du salaire, puisqu’il semble évident de savoir de quoi il en retourne avant de se lancer. Là encore, comme l’explique Permis B, les débuts seront difficiles : “si vous voulez être moniteur pour l'argent, changez vite d'orientation ! Le salaire d'un moniteur est proche du SMIC en début de carrière et est de 1300 € brut en moyenne, soit environ 1000 € net par mois. A cela il faut rajouter une plage horaire : souvent de 8h à 20h. En compensation, le moniteur profite souvent de la voiture auto-école comme avantage en nature”. Maigre compensation, mais compensation tout de même.
Franck Perriard est moniteur d’auto-école depuis plusieurs décennies. Il a récemment publié un livre compilant ses plus belles anecdotes de métier. Il se souvient qu’un jour, “un élève à qui on demande dans quelle condition il faut vérifier la pression des pneus et qui nous répond « à l’arrêt » ... C’est dit de façon tellement évidente et spontanée qu’elle résume tout”. Ou encore, “une élève arrive à un feu rouge et elle me demande si elle doit s’arrêter ! Je me rappelle que cette élève avait beaucoup de difficultés car ce n’était pas du tout son truc, la conduite. Pourtant, elle avait vraiment besoin de son permis. Et quand au bout de plusieurs leçons de conduite, elle me pose ce genre de questions, c’est un peu décourageant”.
Au-delà de ces anecdotes, finalement plutôt marrantes, sachez enfin que vous devrez faire face aux milles préjugés sur les auto-écoles. Et quand on écrit mille, nous sommes sans doute dans la fourchette basse. Un exemple parmi tant d’autres : les auto-écoles sont des pompes à fric. Complètement faux, quand on sait que sur une heure de cours à 55 euros, le prof émarge 35 centimes net environ, puisqu’on doit soustraire les charges, la TVA, le coût des salariés, et les frais afférents aux véhicules. Autre cliché persistant : il existe des quotas. Une rumeur évidemment largement entretenue par des candidats en condition d’échec, et sans doute aussi leurs parents.
Vous l’aurez compris, moniteur d’auto-école, c’est un métier de passionné. Il vous faudra être pédagogue, patient. Vous passerez entre huit et dix heures d’affilée, chaque jour, dans une petite voiture moche. Vous devrez sans cesse vous adapter au niveau de vos élèves. Mais surtout, surtout, n’oubliez jamais que vous serez, chaque jour, en situation difficile, puisque sur la route avec quelqu’un qui ne sait pas conduire.