VOUS POURRIEZ-ÊTRE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Alors, on prend lequel ? Le jaune ou le bleu ? Il faut vous décider, cela fait déjà plus de trente minutes que votre compagne vous demande quel pull vous souhaitez acheter. Au prix qu’ils coûtent, impossible de prendre les deux, et pourtant, votre coeur balance. Alors, le jaune ou le bleu ? Face au poids de cette décision, vous bloquez. Vous tergiversez. Vous regardez vos pieds, en espérant que quelqu’un d’autre prendra la décision à votre place. Vous commencez à transpirer. Vous avez peur de faire le mauvais choix, de regretter, et franchement, à 300 euros le petit pull, vous ne pouvez pas vous permettre de le porter une seule fois avant de le remiser au placard. Donc, une dernière fois : le jaune ou le bleu ? Là, vous paniquez carrément. Et pourtant, il ne s’agit là que d’une petite décision de rien du tout, sans importance, sans conséquence.
Cela pourrait être pire.
Après tout, vous pourriez être Président de la République.
Certes, il s’agit là d’une improbable possibilité, mais imaginez la scène un instant. Imaginez les décisions, autrement plus importantes, que vous auriez à prendre. Mais aussi les obstacles avant d’y arriver. D’ailleurs, comment devient-on Président ? Il y a tout d’abord un certain nombre de conditions à remplir. Le candidat doit avoir la nationalité française, avoir 18 ans révolus, être électeur, ne pas être privé de ses droits d’éligibilité par une décision de justice, ne pas être placé sous tutelle ou sous curatelle, avoir satisfait aux obligations imposées par le code du service national, faire preuve de « dignité morale », sans que cette notion soit précisément définie. Bref, tout un tas de conditions à remplir dans un premier temps, pour pouvoir seulement se présenter. Si vous avez seize ans, que vous sortez de prison, et que vous êtes méchant, alors passez votre chemin.
Et si tout cela ne vous bloque pas, sachez que les vraies galères commencent.
Il vous faudra en effet passer par le rituel désormais connu des 500 signatures. De quoi s’agit-il ? Le site Vie Publique nous explique : “les candidats doivent recueillir les signatures de 500 élus, d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer différents, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département ou collectivité d’outre-mer”. Concrètement, cela signifie donc que vous devrez parcourir la France, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, pour aller à la rencontre des maires. Un lundi soir d’hiver dans la Creuse, ça vous branche ? Oui ? Ok.
Alors voici ce qui vous attend une fois que vous êtes élu !
Bien évidemment, en temps que Président, vous bénéficiez d’un certain nombre d’avantages. Votre salaire sera de l’ordre de 15.000 euros brut mensuels. Bien, et même mieux que bien. Vous ne vivez pas non plus dans un taudis, mais dans le palais de l’Elysée, la résidence principale, ou pourquoi pas au Pavillon de la Lanterne, résidence secondaire située dans le parc du château de Versailles.
Oui mais voilà, vous Président, vous vous sentez seul. Très seul. Vous Président, vous n’avez plus d’ami. Vous Président, vous transpirez un peu la loose. Ainsi, dans un ouvrage paru début 2017, l’ancien conseiller de l’ancien Président François Hollande écrit : “A la solitude du chef de l’État, François Hollande ajoutait la sienne propre, celle de l’homme. Bien souvent, (...) c’est seul que je le voyais attablé devant le journal télévisé d’une chaîne d’info en continu ou un match de football, (...) spectacle affligeant que celui de ces mets fins (...) réservés à un seul convive. Celui-là qui n’a personne avec qui partager son repas peut bien être président, il n’est qu’un malheureux”. Le philosophe Michel Onfray va jusqu’à assurer que la solitude est la marque de fabrique des dirigeants du monde, dans un documentaire de France 3 diffusé en octobre 2016 : "C’est au fond la capacité de solitude des hommes de pouvoir qui en font ou non des grands Présidents". Ajoutez à cette solitude une pression constante : bien choisir son discours, bien choisir son gouvernement, bien choisir ses conseillers, bien choisir ses réformes, bien écouter l’opposition, subir la pression de la rue, la pression de celles et ceux qui n’ont pas voté pour vous, la pression internationale, la pression des sondages. Bref, survivre à votre camp et à tous les camps d’en face.
Vous devrez aussi, en vrac : remonter les Champs-Elysées, au mieux sous les quolibets, au pire sous la pluie (et devenir la risée du Web). Appeler au moins une fois de temps en temps Vladimir Poutine (et rester poli). Ne surtout pas vous gratter le nez durant un débat télévisé (avouez que ça vous démange). Rester poli en toute circonstance, même quand vous avez une réelle envie de dire “casse toi pauvre con”. Faire semblant d’avoir faim au Salon de l’Agriculture à 9 heures du matin, et faire semblant d’être intéressé au salon de la Coiffure.
Donc, on résume : vous devez remplir une longue liste de conditions pour pouvoir vous présenter, puis espérer obtenir les 500 parrainages. Durant la campagne, vous dormez deux heures par nuit, arpentez les rues, enchaînez les meetings et les plateaux télé, et disons-le franchement : vous vous prenez mille critiques chaque heure. Puis, une fois élu(e), vous devez faire plaisir à tout le monde, subir mille pressions, déjouer les plans pour vous déstabiliser au sein de votre propre équipe, et dîner avec Donald Trump. Une certaine idée de l’angoisse.
Alors, prenez le pull jaune, et arrêtez de paniquer. Cela pourrait être pire.
Vous pourriez être Président de la République.